Ma Lettre de Voyage Nº 1

Raux, France, juin 1997

Chers amis,

Finalement j'y suis! En France! Dans le Midi, dans cet été méditerranéen que je recommançais á apprécier pendant mon séjour au Chili. C'est là ou naquit l'idée de me régaler de deux étés méditerranéens par an.

N'anticipons pas. Je suis devenu 'itinérant' depuis presque trois ans. J'ai négligé un peu mes amis francophones. J'avais arrêté, il y a quelque temps, l'écriture des lettres de voyages en français pour mieux me concentrer à 'El Mundo Español', à mon nouveau pays et à sa langue. J'y cherchais un endroit pour vivre toute l'année. Quelques-uns parmi vous savent comment j'ai vécu à Altea, à Alicante et finalement aux Canaries dans le même but.

Mais avec cette drôle de maladie qui m'afflige, mon Dieu apparemment chercha à m'expliquer que je dois voyager en permanence: Les hivers, même aux Canaries, ne sont pas confortables. Ils sont, tout juste, supportables pour quelqu'un, qui, comme moi, doit rester dehors, dans l'air le plus pur avec les portes et fenêtres grand ouvertes. Heureusement, la perte déplorable de mes perspectives d'antan à Eindhoven et à Paris, implique une légèreté imprévue. Je ne traîne ni bibliothèque, ni documentation professionnelle. Je n'ai plus que l'obligation de chercher mon bien-être, ce qui veut dire, en ce moment, trouver le climat le plus adéquat au monde à chaque saison. La perte des anciennes perspectives est définitive. Pourquoi supporterais-je un lieu qui n'apporte pas ce que j'avais cru un jour? Pourquoi m'attarder? Pourquoi m'implanter de nouveau? C'est probablement ça, que mon Dieu tente de m'expliquer à tout moment.

Ces considérations m'amenèrent au Chili, une des trois régions de l'hémisphère sud avec un climat méditerranéen. Les deux autres étant Le Cap et l'Australie du Sud-Ouest. Il n'est pas surprenant que ces trois régions soient reconnues pour leurs vins.

Et, le Chili m'a enchanté de telle manière qu'une nouvelle structure de ma vie est née. Les étés n'offrent pas de problèmes dans notre hémisphère: Il y a tant de possibilités. L'été à Alicante, par exemple, me fit plaisir jusqu'à la moelle des os, comme retrouver son droit de naissance, longuement perdu. "Finalement la température qui me revient!", je me dis satisfait là où tant d'autres se plaignaient de la chaleur! 

Le Chili-Central, en février, me rappela irrésistiblement le Midi de la France en Août: son climat, ses fruits, ses vignobles, ses mûres à coté de la rue, ses paysages et son odeur... Et maintenant, voilà, je me trouve dans le Midi-Pyrénéen pour passer mes jours jusqu'aux pluies d'automne. De l'autre coté des Pyrénées, au Nord de l'Espagne, où règne pratiquement le même climat, on dit "nueve meses de invierno, tres meses de infierno" (neuf mois d'hiver, trois mois d'enfer). Je l'ai pris en considération aussi, mais pour les raisons pratiques, je me suis installé de ce côté-ci.

Pour les prochaines automnes et printemps, je n'ai pas encore décidé où aller. Il y a tant de choix. J'ai des points de référence aux Canaries, à Alicante ainsi que dans le Nord du Chili où il y a des oasis fabuleuses pour passer même toute l'année. Lisez les prochaines lettres de voyage; les idées vont s'y développer.

Après cette mise au point pour mes nouveaux lecteurs francophones, je vous dois l'histoire plus récente.

J'ai passé cet hiver aux Canaries, à La Gomera, l'îlot le plus petit de l'archipel, sauf un. Mon village du côté Nord, Hermigua, où je suis encore formellement 'résident', est fameux pour son air pur à cause de l'alizé Nord-Est. Je suis d'accord, mais ce vent apporte aussi des nuages et de la pluie ce qui rend difficile de rester en plein air toute la journée. Le coté Sud, plus ensoleillé, est dépourvu de cet air excellent. 

Hermigua est presque une colonie allemande. Pendant l'hiver, les sportifs allemands viennent en nombre pour y faire des randonnées bienfaisantes. Le soir ils ferment leurs fenêtres et s'isolent de l'air pur. Hélas, mon Dieu n'accepte pas ça. Alors, à partir de cinq ou six heures de l'après-midi, j'étais dans mon lit lisant et écrivant; les portes et fenêtres grandes ouvertes.

Après Noël, je me suis enfui au Chili comme vous avez lu. Dès mon retour, j'ai compris peu à peu quelle bonne idée j'avais eu. Ensuite séjourner en France pour trois mois ne m'offrait pas seulement un bon climat; mais aussi la possibilité à mes amis du Nord de venir me voir plus facilement, parce des vacances dans le Midi sont bien courantes chez les gens du Nord, et, avec un petit détour nous pourrions nous rencontrer. Il n'y a que mille kilomètres de Eindhoven, huit cents de Bruxelles et six cents de Paris!

Je me mis à élaborer cette idée. Ma maison à Eindhoven, que j'avais mis en location, était justement libre et pouvait être vendue. Ma chère amie Ghislaine s'en occupait de telle sorte que le transfert chez le notaire fût planifié deux jours avant l'autre événement dans le Nord qui motivait mon détour: la finale du concours Reine Elisabeth à Bruxelles. Toute une semaine de musique de haute qualité: mon 'bonbon' des dernières années. Je décidai d'avancer mon voyage d'une semaine pour finir avec l'inventaire de ma maison.

Mardi le treize Mai j'ai pris le ferry de La Gomera à Tenerife avec ma voiture et toutes mes affaires pour arriver après quatre jours à Cadiz. Les jours sur la mer furent comme une pause entre deux mondes: celle du 'sédentarisme' abandonné et celle du 'vagabondisme' librement choisi. C'était comme une méditation avant un grand cérémonial. Tout le long du voyage, j'ai gardé cette attitude, cette atmosphère sensitive pour le paysage, pour mes sentiments... Le ciel étalait vigoureusement tous les contrastes possibles de son répertoire, parce qu'un grand changement de temps m'accompagnait vers le Nord. 

Profitant de l'occasion, j'ai visité des amis à Tenerife, à Alicante, en France et en Belgique. Je me suis arrêté près de Reims pour déguster un bon champagne et j'ai rendu une longue visite au Musée d'Art Moderne de Villeneuve d'Asq et je me suis laissé impressionner par l'exposition de "L'art brut". 

A Eindhoven, bien que Ghislaine m'avait aidé à débarasser la maison, il restait pour moi un devoir pratiquement et émotionnellement exigeant. Les objets venant de mes parents, des objets trop précieux pour emporter à Emaüs ou à la poubelle, je les ai mis en dépôt chez divers amis 'pour toujours' ou chez mes enfants en 'héritage anticipé'. Et le reste? Se trouve dans les valises de mon 'voyage à poids léger'.

Suspendu, comme j'étais les dernières années, entre ces deux mondes, cette semaine a définitivement rompu les liens avec le monde que j'avais créé pour mon troisième âge. N'en parlons plus. Il n'y a que la chute libre dans mon nouveau monde, mon troisième âge, comme mon Dieu l'a voulu.

Et quoi de plus? Je vis ici depuis trois semaines. Le temps n'a pas été gentil pour moi: Il fait tellement froid, que je dois rester dans mon lit comme aux jours les plus mauvaises à Hermigua. Mais: 'ce n'est pas un temps normal de Juin', disent les habitués. Étant donné que les autochtones, et encore plus les immigrants du Nord, sont extrêmement chauvins pour vanter leur climat tel qu'il est, je ne les crois pas vraiment. Néamoins, j'ai abandonné l'idée de fuir vers l'autre coté des Pyrénées pour y trouver un temps meilleur, et j'ai accepté, avec courage & espoir, ce froid comme une exception. Peut-être, n'est ce plus qu'une question de quelques jours avant que le vrai beau temps ne revienne.

Entre-temps je ne peux ni écrire ni lire autant que je l'aurais voulu. Sur la liste d'attente il y a, par exemple: la correspondance avec tant d'amis dans le monde, une pile d'anciennes photos de mes ancêtres que j'ai promis de ranger pour mes enfants et tant d'autres petites choses qui ont besoin d'être lues et organisées. Au lieu de cela, il faut me rechauffer en travaillant dans le jardin et en faisant des promenades sportives pour développer ma forme. Je fais aussi des tours en voiture pour mieux connaître mon nouveau pays et chercher l'habitation adéquate pour mes enfants et petits-enfants.

Hier, croyant m'être perdu, j'arrêtai ma voiture au bord de la route pour mieux étudier la carte. A peine ouverte la carte on frappait à la porte de la voiture. Un homme m'adressa chaleureusement la parole en espagnol: Amigo, tu t'es perdu? Où veux-tu aller?

Ça m'a touché; entendre l'espagnol et être sauvé par un camarade. Il a vu ma plaque d'immatriculation espagnole. Il avait remarqué déjà comme je roulais irrésolument. Il est venu à l'aide d'un compatriote. Il m'a expliqué qu'il vivait dans la région et que sa femme était d'ici. Il traduisait pour sa femme ce que je lui avais demandé en espagnol. Même si j'ai bien compris ce que sa femme lui répondait, j'ai attendu ses explications en espagnol. Je le remerciai pour son aide à un compatriote sans défense à l'étranger. Que Dieu me pardonne ce pieux mensonge: C'était une expérience rechauffante en ces jours tellement froids. Lui aussi défendit le climat: "C'est vraiment une exception", répétait-il pour mieux me convaincre, "vraiment exceptionnel ce mois de Juin". Nous nous dîmes adieu chaleureusement.

Mes chers amis, avec cette petite histoire vécue je vais conclure cette première lettre de voyage en français. Je ne peux pas encore prévoir la prochaine, mais il est dans mes intentions d'en faire davantage aussi après mon séjour en France. Avec "Mi Carta de Viaje" en espagnol, j'ai trouvé une approche qui me plaît. Les deux lettres ne sont pas une traduction l'une de l'autre. Je limite sa longueur à deux pages, celle-ci étant une exception pour reprendre le fil ou faire l'introduction. Je n'attends pas de réactions spécifiques. Voyez cela comme une carte de bonne année, dans laquelle, comme les dernières années, j'écrivais une petite chronique de l'an passé. Cela aussi s'est trouvé interrompu par le changement de ma vie.

Cordialement,   Gérard



© 1997 G.H.A. van Eyk, escritor itinerante.