RAUX, 29 Août, 1998 Chers amis,
Voila, que mon séjour dans le Midi de la France s'achève sous peu. La
dernière semaine, où mes enfants et petits-enfants viendront, s'approche
rapidement. Bavarder avec mes enfants et faire la lecture aux
petits-enfants auront la priorité. Et les quelques jours suivants, juste
avant mon départ, ne sont pas non plus en accord avec l'atmosphère de
silence et de solitude requise pour l'écriture. Alors, il faut que
j'écrive maintenant cette lettre de voyage; sinon, je ne l'écrirai plus.
Franchement, mon séjour ici fut difficile sous plusieurs aspects.
D'abord, il y eut cette période de froid jusqu'à mi-Juillet prouvant pour
la nième fois que j'ai du sang de reptile dans mes veines: Quand la
température de l'environnement baisse, mes fonctions corporelles stagnent;
aussi bien l'écoulement physique que la production des bonnes idées. Et
surtout de bonnes idées étaient de première nécessité! J'avais emmené
d'Eindhoven un surplus de choses nostalgiques et importantes, les
souvenirs de ma vie d'antan, difficiles de m'en débarrasser.
J'avais eu, en Mai, la bonne idée que les premières semaines de mon
séjour ici fussent une opportunité choisie pour terminer ce travail en
toute sérénité et clarté d'esprit. Et après j'aurais eu, dans une large
mesure, le temps pour sélectionner mon "Kit Chili", les trente kilos de
bagages que j'avais prévus pour mon séjour au Chili. Ça me parut être un
bon plan à tous égards.
Plus de dix semaines plus tard, aujourd'hui, rien n'est réalisé. J'ai
décidé de laisser inachevée cette liquidation des souvenirs de ma vie
d'antan pour une autre fois, et de me concentrer uniquement sur la
sélection du "Kit Chili".
Non seulement ce "kit" n'est pas encore réalisé, mais toute ma
correspondance, elle-même aussi, est bien en retard par les préoccupations
de restriction de bagages. Mes pauvres amis, je le regrette.
J'avoue de ne pas pouvoir attribuer cette négligence seulement à la
période de froid où j'étais dépourvu d'énergie. Plus tard, avec le beau
temps revenu, j'ai bien développé des activités: en étudiant le français,
en bricolant dans la maison et en reçevant la visite de mes amis. Mais, ce
furent des projets à caractère 'd'ici et maintenant', ne touchant pas aux
vrais problèmes avec lesquels je cherchais à me justifier en disant: Oh,
j'ai besoin de plus de temps pour bien me préparer mentalement.. ou.. Un
peu de patience encore! ... ou.. Les bonnes idées me reviendront ...
Et me voilà, coincé entre une tâche inévitable et une motivation
minimale pour l'attaquer. Et pourtant, superficiellement, c'est un
problème simple. La valise que j'ai porté lors de mon voyage de
reconnaissance en Janvier, ne pesait que 15 kilos. Alors, avec le double
il y aura bien du luxe! Je pourrais emporter mon imprimante, quelques
modes d'emploi concernant l'ordinateur, un modem de réserve et peut-être
aussi quelques objets de luxe ou des souvenirs pour rendre les huit mois
plus agréables.
Il n'y a que les derniers jours que j'ai pris des mesures vraiment
efficaces pour attaquer ce gros problème. J'ai étalé le contenu de ces
deux valises prévues sur deux tables pour rendre visible mes problèmes de
choix. Je n'en ai pas encore résolu la totalité, mais j'ai retrouvé le
courage de m'y confronter. Une fois de plus je me sentais encouragé par
les mots de Yourcenar: "Les yeux ouverts" et par la citation d'un inconnu:
"Ce qu'on ne peut pas contester, il faut le décrire". Ça continuera à
m'encourager.
Et quoi encore?
J'ai voyagé beaucoup dans la région, surtout avec Ghislaine, pendant
son séjour ici. Non seulement pour visiter des amis, mais aussi pour
chercher un meilleur climat pour l'année prochaine. Visitant Olargues,
petit ville pittoresque à coté de Béziers, où mon frère et sa femme,
depuis des années déjà, passent leurs vacances d'été, nous fûmes invités
par un couple, amis de mon frère Jan, pour déguster une vraie
bouillabaisse Marseillaise.
Nos hôtes furent un couple octogénaire à l'esprit moderne. Lui avait
été chef de police à Cannes dans les années soixante, spécialement chargé
de la sécurité des 'stars' du Festival. Ça aboutissait, évidemment, aux
bonnes histoires! Mais, du plus profond de son coeur, il aurait préféré
être 'chef' de cuisine. Marseillais de naissance et de coeur, ayant la
cuisine comme violon d'Ingres, il nous a expliqué que la véritable
bouillabaisse Marseillaise est rare; même dans les bons restaurants. De là
cette invitation.
Mais, la vraie bouillabaisse ne se faisant pas pour deux ou trois
personnes, deux semaines plus tard, nous nous trouvâmes dans sa maison
avec un groupe de dix personnes. Profitant de l'occasion, ils avaient
invité d'autres amis aussi. Ce fut un déjeuner inoubliable. On a peu parlé
des 'stars de Cannes', tant d'autres histoires de vie, aussi intéressantes
à être racontées, avaient la faveur dans cette ambiance chaleureuse et
amicale.
Notre hôtesse, par exemple, avec ses quatre-vingt-un ans, raconta avec
vivacité sa carrière comme représentante de commerce. Ce fut, à l'époque,
non seulement du domaine très masculin, mais, de plus, elle travaillait
dans la branche commerciale aussi masculine que celle de bicyclettes et
des pièces détachées. Oui, avoua-t-elle, on voyait déjà des
femmes-représentantes, mais seulement dans le domaine du textile et de la
mode....
Et pour conclure: Bonne Nouvelle! J'ai réussi à sélectionner un "Kit
Chili" qui s'arrange tout juste avec le poids maximal et les deux valises
prévues. Je m'en suis félicité; j'ai failli en avoir des cauchemars. Cela
ouvre la voie à l'optimisme: Au lieu de m'étendre, avec désespoir, sur les
choses que je ne peux pas emmener, je peux me concentrer sur mon petit
monde des prochains mois; mon foyer intime en traversant le Chili.
Pour l'instant celle-ci sera la dernière Lettre de Voyage de l'année.
Lisez le bas de cette page pour connaître mon adresse actuelle. A grands
traits, après avoir passé le mois d'Octobre aux Canaries, je resterai dans
le Nord du Chili jusqu'à Nouvel An, probablement dans la ville d'Iquique.
En Janvier et Février je m'arrêterai au Chili Central pour son été
méditerranéen. En Juin je reviendrai en France pour un nouveau séjour.
Cordialement, Gérard |