À bord du SANTA SANTA
CRUZ DE TENERIFE
entre Puerto del Rosario
(Fuerteventura) et Santa Cruz de Tenerife, lundi 15 février 1999 Chers amis,
Enfin je suis de nouveau
en voyage! Il faut mieux dire que je suis encore en voyage, parce
que je suis déjà sur le retour. Je me trouve à bord
du bateau Santa Cruz de Tenerife. J'ai passé un dizaine de
jours à Fuerteventura, une île canarienne très proche
de la côte africaine. Nous sommes sur le point du départ.
Dans quatorze heures nous arriverons à Santa Cruz de Tenerife. Après
cela, il n'y aura qu'une heure d'autobus à faire jusqu'au port de
Los Cristianos et ensuite une heure et demie de bateau jusqu'à La
Gomera, ce que me laisse bien le temps pour écrire cette lettre.
J'avais vraiment besoin d'un
voyage. Je me trouvais déjà pendant cinq mois au même
endroit, dans le même appartement très bien situé,
comme j'ai décrit antérieurement. Mais les conséquences
ont été désagréables. J'ai accumulé
des choses, des livres, des photos et de la documentation variée
que je ne peux pas emmener dans mes deux petites valises quand je partirai
en mai. Ça commence à me prendre à la gorge. D'une
certaine manière c'était ma propre faute. J'avais commencé
à m'installer ici avec ma ligne de téléphone privée,
et un ordinateur de table commode. Peu à peu s'accroissait un confort
dont il est dificile --emotionellement-- de se défaire. Une fois
débarrassé de mon mobilier, de mes affaires personnelles
et de ma maison en Hollande, je préfère ne plus vivre une
chose pareille. Il vaut mieux maintenir ma mobilité par des deplacements
fréquents.
En septembre, je m'étais
installé dans de vagues espérances de pouvoir y passer neuf
mois, que je pouvais louer pour toute l'année; pour plusieurs années
même! Pour qu'il fût abordable, je n'avais aucune solution
propre de le sous-louer pendant les mois d'été, quand je
serai à Cessenon. Pour les mois d'hiver, j'avais des idées
aussi vagues. Au cas où j'aurais été obligé
de fuir vers un climat plus chaud, je n'avais rien prévu: ni pour
la sous-location, ni pour ma destination: À la province de Cap,
avec ces bons vins, ou de nouveau au Chili, ou sur une île à
côté de la côte africaine où il doit faire plus
chaud. Et tout ça pour m'assurer d'un appartement avec un emplacement
presque ideal, mais inabordable. L'appartement ne se loue qu'á l'année.
Il est bien improbable que je puisse le louer en octobre pour quelques
mois, sans compter que je pourrais louer le même appartement pour
sauvegarder ma ligne téléphonique et économiser les
frais d'entrée considérables. Mes rêves antérieurs,
vont-ils se réaliser? Fin d'avril je le saurai.
Mais maintenant je suis en
voyage. Je me suis liberé. Même si je ne me suis pas débarrassé
du surplus de mes affaires, j'ai déjà retrouvé ma
légéreté. C'est comme si cette répétition
générale m'a redonné confiance en moi. Pendant ce
voyage, j'ai reçu tant d'idées nouvelles, que j'ai déjà
fini deux lettres de voyage en néerlandais et une en espagnol. Il
faut dire, pour mieux comprendre le contraste, que je m'étais engagé
dans un projet d'atelier de creativité dans un cours d'été
à La Gomera, que je vais animer avec Ghislaine. Cela a aboutti à
l'écriture d'un petit livre de plus de trente pages en espagnol.
En même temps j'ai creé un homepage sur l'Internet
ou se trouvent, entre autres, toutes mes lettres de voyage et le texte
de ce petit livre. Après ça, je méritais de petites
vacances.
Mais, que sont, plus précisement,
les conditions pour un microclimat idéal? Peu à peu, avec
mes observations des dernières années, je peux faire un cahier
de charges pour un tel emplacement. Il ne s'agit pas seulement des
températures maxi & mini dans les vingt-quatre heures! Pour
vivre, étant un frileux comme moi, les conditions du matin et de
l'après-midi sont beaucoup plus importantes. La question est plutôt:
À partir de quelle heure du matin puis-je m'asseoir confortablement
pour écrire & lire? Et jusqu'à quelle heure de
l'après-midi? Bien entendu, avec les fenêtres ouvertes pour
avoir de l'air très pur. La pureté de l'air est facile à
juger: Les vents dominants viennent de la mer, des forêts, d'une
ville ou d'une autoroute. La température à l'intérieur
de la maison, avec les fenêtres grandes ouvertes, est beaucoup plus
compliquée. La maison que j'habitais à Hermigua il y deux
ans, était mal ensoleillée pendant l'hiver à cause
de son encaissement dans une vallée. Avec une température
de l'air extérieur de 17º, son intérieur restait inférieur
à 15º. En plein été, au contraire, même
pendant les jours très chauds, ce doit être une maison agréable
pour sa fraîcheur. De cet exemple on peut facilement déduire
que les maisons bien ensoleillées pendant l'hiver sont rares, parce
que, grosso modo, elles sont insupportables pendant l'été.
Ma maison actuelle est peut-être une exception par son exposition
aux alizés frais. Mais cela ne me concerne pas: Je cherche une solution
pour la saison froide. Et sur ce point, l'appartement actuel n'est pas
mal. À partir du début de décembre, il m'a fallu gérer
soigneusement l'ouverture et la fermeture des portes qui s'ouvrent sur
le balcon. La maison garde bien la chaleur. Même deux jours avec
peu de soleil, ne l'influencent pas trop. Avec ça, je peux écrire
& lire jusqu'à huit heures du soir. À Fuerteventura,
ou j'habitais une maison bien ensoleillée, mais d'une autre construction,
écrire & lire dans le séjour était insupportable
avant onze heures et après quinze heures. C'était une maison
caractéristiquement construite pour la saison chaude.
Mais, après ces considérations
théoriques, retournons à Fuerteventura. Les touristes y séjournent
dans les deux agglomerations 'StTropez' aux points Nord et Sud de
l'île. J'ai passé quelques jours dans la capitale Puerto del
Rosario, une ville avec son caractère propre, qui se trouve plutôt
au centre. En parcourant la ville, à mon étonnement, je découvrais
un petit musée des plus charmants de Miguel de Unamuno. C'était
un philosophe espagnol qui a vécu de 1864 à 1936, la génération
de mon grand père, pour ainsi dire. Mais comment un musée
à Fuerteventura?
--"Et alors? Cela n'explique
pas pourquoi, dans cette île, il y a des gens qui se donnent la peine
de créer et soigner un tel bijou littéraire et historique?
--"Il vous faut comprendre
que nous sommes une île isolée, et, différente des
autres îles, nous n'avons pas une dominance des étrangers
qui déterminent notre culture. Nous sommes interdépendants
et créons notre culture. Ici, il y a des cercles culturels avec
un intérêt actif pour l'art ou pour la philosophie. Ce musée
émane d'un tel cercle." Ce petit musée charmant,
dans une île isolée, par ses détails pittoresques,
me révélait une époque de l'histoire d'Espagne que
nous, dans l'Europe du Nord, ignorons largement. Nous, dans cette époque,
disions: Au delà des Pyrénées commence l'Afrique.
Mis à part les volontaires de la Brigade Internationale, des jeunes
ouvriers et des intellectuels, venant de toute l'Europe, qui ont insisté
avec fermeté, souvent au détriment de leur vie, pour que
l'Espagne mérite une place dans l'Europe, pour que l'Espagne ne
doit pas s'isoler. Très peu d'entre eux, déjà des
octogénaires, ont eu la chance de voir leurs rêves idéalistes
réalisés. Cet isolement, contesté par une avant-garde,
ne fut levé qu'avec l'entrée de l'Espagne dans la Communauté
Européenne après la dictature de Franco. L'Espagne entra
dans la Communauté comme dans un appartement clef en main.
L'Espagne n'a pas participé à sa construction, ce qui m'a
fait imaginer une Europe qui se serait réalisée si l'Espagne
avait eu une influence beaucoup plus grande dès le début.
J'ai peur que nous n'ayons eu plus qu'une Europe sans la Scandinavie.
Une non-Europe, pour ainsi dire.
Avec ces grands rêves,
nés dans un petit musée lointain, je prends congé
de vous.
Cordialement, Gérard
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