Ma Lettre de Voyage Nº 7
Yzerfontein, l'Afrique du Sud, mardi 22 fevrier 2000

Chers amis,

Je suis déjà depuis plus d'un mois dans ce pays. Il me reste encore deux mois. J'ai passé une semaine au Cap, pour m'orienter. Puis une semaine à Stellenbosch, le centre de la viticulture, pour être au vrai goût du climat méditerranéen. Après, j'ai trouvé une petite cabane ici à Yzerfontein sur la côte ouest. J'ai decidé d'y rester pour écrire & lire. Avec sa distance acceptable du Cap (84 km) et de Stellenbosch (150 km) c'est un point de départ convenable pour visiter les autres régions de la province du Cap. Je n'envisage pas de visiter les régions de l'Est et Johannesbourg. Mais je l'ai choisi surtout parce que cette cabane est vraiment au bord de la mer. Il n'y a qu'un gazon d'une dizaine de mètres suivi d'une plage rocheuse ou vivent --et crottent(!)-- des goélands, des sternes, des cormorans et d'autres oiseaux marins. À quarante mètres c'est la mer. Je pourrais voir Buenos Aires. Un peu vers le droit commence le 16 Miles Beach, une plage très large sans aucune colonisation où je me promène chaque matin. C'est vraiment idyllique, ma cabane au bord de la mer.

Le village est très tranquille. Même un peu trop. Malgré sa plage spacieuse, cette côte est ignorée. Les habitants du Cap préfèrent la côte sud qui est pour eux à la même distance: Ils vivent, à vrai dire, 'entre deux mers'. Par là, les plages ne sont pas aussi formidables, mais l'infrastructure est beaucoup plus développée. Le facteur décisif est la température de l'eau. Celle-ci est determinée par l'ocean Indien avec son courant chaud venant de l'équateur. Ici nous avons l'Atlantique avec son courant froid: Le Benguela venant directement du pôle Sud. J'ai mesuré 12,2 ºC sur la plage. En hiver on y voit des baleines!

Le choix d'articles dans le supermarché est très limité et donne l'impression que le prochain ravitaillement n'est pas prévu avant Noël 2000. Heureusement, tous les jours, il y a un journal de qualité; quelquefois deux. À 25 km dans l'intérieur, il y a Darling, un village comme dans un western, avec sa rue principale très large et rien de plus. Ici je trouve un bureau de poste, un distributeur automatique de billets de banque et un supermarché convenable. (À 75 km vers le nord se trouve Vredenburg, ancienne station de chasse à la baleine, avec un vrai supermarché.) Darling est connu pour sa réserve naturelle de fleurs sauvages et pour sa floriculture. Il y a, par exemple, un floriculteur néerlandais qui cultive des orchidées pour l'exportation mondiale en alternance avec sa production en France, dans la Méditerranée. J'en ai vue de similaires au Chile.

Officiellement, Yzerfontein est un village, un township, mais en réalité ce n'est plus que trois cents maisons très luxueueses habitées pendant les mois d'été. Cela explique sa tranquillité hors saison. La construction de nouvelles villas, au contraire, va à grande allure. Je vois partout des villas inachevées et des parcelles à bâtir 'à vendre'.
-- "Rien que des villas de luxe", m'a dit la présidente du conseil du 'township': "Pas des buildings, ni tourisme de masse".
-- "Avez-vous vu nos travaux pour l'infrastructure", elle continua, "les réverbères, les places de stationnement et les trottoirs?"

En fait, j'avais déjà vu partout des bordures de trottoirs et des lampadaires en train d'être placés. Même dans les quartiers où il n'y avait que des parcelles à bâtir à vendre. Un soir très beau et calme, assis sur mon gazon au bord de la mer, je m'étais déjà imaginé la disparition de cette vue splendide des milliers d'étoiles, maintenant clairement visibles par l'absence de la lumière artificielle. Je ne répondis rien parce qu'elle s'était fixée sur le progrès et l'augmentation du prix de vente des terrains, et moi sur la perte de mon petit paradis d'une rare beauté.
-- "On aura beaucoup de lumière dans les rues. Vous savez, il y a beaucoup de crimes dans notre pays. Cet endroit doit être en toute sécurité", elle ajouta encore, mais je n'étais plus à l'écoute.

Mon journal de tous les jours est Die Burger en Afrikaans. L'autre est Cape Times, en Anglais. Faute d'une connexion facile à Internet, je ne peut lire les journaux internationaux comme d'habitude. Mais avec ma très puissante radio de poche, et une antenne improvisée, j'ai accès aux Ondes Courtes. Je suis regulièrement aux écoutes des émetteurs mondials. Contrairement, ici à Yzerfontein, étant en dehors des émetteurs M.F. des régions populeuses, l'offre locale se limite à deux émetteurs à Ondes Moyennes: l'un en Afrikaans et l'autre en Anglais. Malheureusement les deux stations n'offrent pas de musique. Cela me manque vraiment: une sonate de Mozart, ou une chose pareille, de temps en temps.

Je comprends assez bien l'Afrikaans du journal et de la radio. L'Afrikaans tient ses racines dans le Néerlandais du 17ème siecle. Prononcé il me paraît comme le Flamand rurale ou le Zéelandais des îles. Inversement, on comprend assez bien mon Néerlandais, pourvu que je le prononce clairement et lentement. À première vue, l'Afrikaans parait très difficile à lire. Depuis 1915 on l'écrit suivant sa prononciation; comme l'Espagnol, mais beaucoup plus extrème. Pour cela son orthographe s'était éloignée fortement du Néerlandais/Flamand. Pour un Néerlandais comme moi, les mots ont perdu leur image familière. Mais, après avoir surmonté cet obstacle, je me suis delecté d'une langue et d'une athmosphère vraiment insolite, inaccessible d'une autre manière. Le Cape Times et Die Burger portent les mêmes actualités et débattent des mêmes thèmes. Politiquement ils sont très proches. Malgré cela, il semble décrire un autre pays. Une différence curieuse, difficile à expliquer.

Et de quoi écrit-on? C'est un pays en plein développement, ou mieux, en plein re-développement, parce que les 64% noirs, exclus par l'apartheid, sont en train d'être integrés rapidement dans une nouvelle société: La Renaissance Africaine. Je suis en prémière ligne, pas seulement par les deux journaux mais aussi par les deux émetteurs de radio. Les derniers ont tous les jours des programmes dans lesquels le public participe activement. Les sujets ne sont pas futiles du tout, à la fois même courageux: racisme, viol (l'Afrique du Sud a le chiffre le plus élevé du monde), SIDA (aussi le chiffre le plus élevé du monde), expérience personnelle avec l'apartheid, ou le nouveau apartheid renversé, et tant d'autres aspects de ce changement drastique et rapide. Ces programmes, avec les lettres-aux-éditeurs et les rencontres personnelles, me donnent ce que je cherche à signaler: Le petit bonhomme aux événements grandioses.

Le mot-clé dans cette turbulence est réconciliation. Après toutes les atrocités, physiques et mentales, il n'y a que cela: réconciliation. L'alternative aurait été un massacre sans précédent. Tout le monde le sais. On le prononce rarement. On absorbe les douleurs et les angoisses du changement parce qu'on sait qu'il y a une base commune: Creér un nouvel état ensemble. Les derniers jours nous avons eu la commémoration de la mise en liberté de Mandela, cela ne fait que dix ans. La Nouvelle Constitution n'existe que depuis 1994. Tout est neuf: dans la politique, dans la vie commune, dans la vie sportive, dans les églises, partout. Il y a des bévues des nouveaux fonctionnaires et ministres d'état à vous couper le souffle. On découvre népotisme entre les nouveaux politiciens, incompétence ou faux pas sans mauvaise intention. On discute ces erreurs dans le plus petit détail, mais on maintiens soigneusement cette atmosphère bénéfique: réconciliation.

J'ai vu des projets privés dans la viticulture ou quelques Boers ont donné la main aux ouvriers noirs qui vivent tradionellement avec leurs familles dans un coin de terrain: Très pauvres, comme serfs de facto, parce qu'il n'y avait pas d'autre alternative que les bidonvilles. Le Boer et sa femme avaient fait une offre généreuse et courageuse pour qu'ils puissent obtenir une maison à eux en deux ans et en même temps apprendre tous les métiers de la viticulture: des postes les plus simples qu'ils connaissaient déjà, mais maintenant avec leur propre gestion, jusqu'aux postes supérieurs et spécialisés pour qu'ils puissent, finalement, équiper un black winefarm indépendant. Pour la réalisation, l'offre contenait le don de 14 ha de vignoble, l'utilisation gratuite des caves et des laboratoires pour les quelques années à venir, des cours de formation et le support professionnel des cadres du Boer en requête. Le reste serait leur propre auto-gestion, constituant l'autre aspect de cette auto-formation.

Le projet fut un succès. Après deux ans ils avaient déjà leur maisons à eux, mais ils ont décidé de les hypothéquer pour faire l'achat de 9 ha de vignoble avoisinant. Leur vin a reçu des appréciations très positives dans la presse spécialisée. Quelques-uns font encore des études avancées et ont visité des caves en France, en Californie et en Allemagne. Comment l'apartheid a caché, même nié, ces talents somnolents.

J'ai eu l'opportunité d'interviewer la femme d'un ouvrier noir de ce projet:
-- "Les hommes, le soir où le baas les avait fait l'offre, avaient discuté longuement. On s'était méfié d'un nouveau truc des blancs. Retourné à la maison, mon mari ne savait plus quoi faire. Je lui ai dit: 'suis ton coeur, je crois que c'est une offre digne de confiance'. Et avec ca on l'a finalement accepté".
La femme du Boer, en expliquant le projet, m'avait dit:
-- "Après notre offre, on n'a pas reçu de réponse positive pour quelques jours, seulement des questions nées de la méfiance et de la suspicion. Je m'étais déjà dit: 'Au bout du compte c'est une espèce ingrate', mais mon mari m'a dit: 'Ayons de la patience. Nous avons laissé parler notre coeur. Ils le comprendreront".

Aujourd'hui, trois ans après, on ne peut plus entendre cette méfiance qui a mis en danger un projet cordialement désiré par chacun et qui a changé définitivement pour le mieux le cours de la vie de beaucoup d'hommes, femmes et enfants.

Avec ça je termine Ma Lettre de Voyage de l'Afrique du Sud,

Cordialement,   Gérard



© 1997 G.H.A. van Eyk, escritor itinerante.