Ma Lettre de Voyage Nº 8
Yzerfontein, 13 Avril 2000

Chers amis,

C'est le matin de mon départ de l'Afrique du Sud. Très tôt, comme d'habitude, je me suis mis à l'écrire. J'écris à la main pour rester confortablement dans la chaleur de mon lit. D'abord, une telle ébauche est plutôt faite à la main, noir sur blanc, et sur papier réel. L'écran de mon ordinateur --ce papier virtuel-- ne m'invite pas de la même manière. Le bruit du ressac --éternel et inéluctable-- devant ma porte ne va plus m'accompagner que quelques heures.

Ce soir je pars pour Londres. Je suis en toute tranquillité. Les bagages sont prêts. Ici, dans ce climat méditerranéen, c'est de plein automne. Les feuilles de mon figuier ont déjà commencé à tomber il y a trois ou quatre semaines. Il m'a donné beaucoup de figues. Je l'avais bien soigné et arrosé. Tout les matins, avec mes os glacés imperceptiblement pendant mon travail à l'ordinateur, avec le soleil ayant chassé la fraîcheur de l'aube, je lui avais donné ses quatre seaux.

Mais avec la froideur de l'automne tombée, mon figuier s'était refusé inmédiatement de mûrir les figues qui lui restaient. Heureusement pour moi, l'été a reconquis du terrain et il m'a donné, comme baiser d'adieu prolongé, deux semaines de vrais jours d'été. Mais le figuier, une fois ayant commencé à perdre ses feuilles, s'est refusé à finir son travail.

Depuis deux jours, l'automne a revenu définitivement avec ses nappes de brouillard prolongées dans le matin. Hier, j'ai fait une petite promenade en voiture dans l'intérieur, pour prendre congé de ce pays, et pour me réchauffer. Mais le soleil n'a percé le brouillard que vers l'après-midi. Le paysage n'était plus le même, la chaleur n'était plus comme d'habitude.
--"Il faut que tu t'en ailles, oiseau de passage.", m'a dit le décor.

Ce soir je pars pour l'autre été méditerranéen; les bagages sont faits.

Dans ma dernière lettre, je vous ai écrit de ma cabane idyllique au bord de la mer. Cette township Yzerfontein n'existe que pendant les week-ends, quand les propriétaires viennent avec leur bateaux, leur scooters de la mer, leur 4x4 et tant d'autres attributs des nouveaux aventuriers. Quelques-uns avaient emmené leurs garde en uniforme; on les voyait autour de leurs résidences secondaires. Ils ont peur, les riches des grandes villes. Avec sa socio-structure non-existante, et cette peur, il va de soi, après deuxième réflection, que ma participation assidue aux services de dimanche de l'église, n'aboutirent pas à des contacts personnels tels que j'en avais connu pendant mes randonnées en Angleterre. Comme visiteur d'une fois, comme étranger, on ma frequemment et cordialement reçu à leur fameux thé après-service. Ici à Yzerfontein rien de ça. On s'est échangé quelques mots sur le parvis d'église, parfois on m'a demandé d'où je venais, et on s'en est allé.

Malgré cette solitude sociale à Yzerfontein, j'y ai trouvé vraiment ce que je cherchais: l'endroit pour écrire & lire et un point de départ pour visiter d'autres régions.

À ma surprise, j'ai trouvé de très bons contacts aux environs de Vredenburg, la ville à 75 km au Nord et notamment dans le port de Saldanha. D'observateur je suis devenu participant après plus de six semaines d'isolement relatif. Comment ça?

Pendant les premières semaines, j'avais vu des projets de black empowerment comme mentionné dans ma dernière lettre. Après, j'en ai écrit une critique assez stricte. C'était une analyse socio-économique mais orientée à vers l'apprentissage réel des participants. (Après tous je suis un éducateur!) C'était une rétroaction que j'avais promis aux participants et guides. Cette analyse est tombé dans les mains d'un membre du conseil régional de développement économique de notre région qui m'avait invité à participer à leur réunion. On y discutait et jugeait des projets identiques. La réunion était bien ennuyeuse, mais j'y ai rencontré les initiateurs des projets constituant le raison d'être du conseil. C'étaient eux, qui m'ont invité à leur tour pour savoir ce que j'en pensais.

Instantanément je me trouvais mêlé aux discussions sur la formation des jeunes entrepreneurs et sur les actions pour les recruter ou les sensibiliser. Le centre des petites entreprises offrait même un cours de teenprises (teenager enterprises) aux écoles pour que les très jeunes s'habituent à l'idée de devenir entrepreneur ou --minimalement-- à la dure nécessité de l'indépendance économique: des jobs confortables n'existent plus! Ce n'est certainement pas une petite idée.

À part mes visites regulières à Saldanha et Vredenburg, j'ai fait un tour de plusieurs jours vers le Nord, dans le désert rouge près de la frontière de Namibie. D'une certaine manière, c'était une reconnaissance du terrain pour y séjourner une autre année. Dans cette perspective, la ville de Springbok me parait idéale, avec sa température plus élévée et ses fruits et légumes de choix.

D'une autre manière c'était un voyage romantique, parce que je m'imaginais sans cesse que ce voyage était fait, suivant le même parcours, par les Boers avec leurs chars à boeufs en cherchant leur Terre Promise. En voyageant par lautoroute, à travers ce semi-désert aussi vide, cette N7 m'avait déjà donné l'opportunité de rêver ainsi. Mais c'était une route d'ingénieurs avec ses passages dynamités. Pour retourner, j'ai pris le chemin sablonneux, encore plus désert que la N7, allant tout droit --droit comme la foi calviniste des Boers-- par les grandes plaines, et s'adaptant souplement au paysage dans les régions vallonées, évitant des interventions brutales à leur Terre Promise. C'était un voyage contemplatif de presque 300 km. Ce chemin est encore la voie de communication entre les fermes d'élevage de moutons. On y voit rarement des fermes. Ils se trouvent loin à l'horizon. Le seule fermier que j'y ai rencontré avait une ferme de 22 par 7 km!
--"La nôtre n'est pas entre les plus grandes", m'a confié le propriétaire.

Je l'avais rencontré quand je m'étais arrêté devant un petit cimetière à côté du chemin. Il n'y a qu'une douzaine de pierres funéraires, des vieilles et des plus récentes avec le nom De Vries gravé sur presque toutes les pierres. Aparemment un cimetière familial, pensais-je, quand une camionette s'arrêtat. Un vieil homme s'approcha agilement de moi avec une expression inquiète du visage. Je me sentais insinuant dans cette intimité familiale et ne savais pas quoi dire.
Avec mon plus beau sourire je criais à distance en Afrikaans:
--"Bonjour monsieur!"

Cela lui provoquait un grand sourire, et son air bourru s'évanouit subitement. Nous nous avons entretenu plus d'une demi-heure et nous prîmes congé amicalement.
--"L'année prochaine, quand vous serez à Springbok, il faut nous rendre visite. Je vous fais voir la ferme. Aujourd'hui je n'ai pas de temps. Il faut que j'aille aider mon fils. Il a un problème avec la clôture là-bas." Et il fit un geste vers l'horizon.
--"Mais", ajouta-t-il pensivement, "j'ai quatre-vingt ans, et un an est beaucoup à mon âge. Ce n'est plus comme autrefois" indiquant vaguement ses jambes et son coeur.

Il commença à m'expliquer où je devais aller pour trouver son fils pour savoir s'il était mort ou vivant, mais je lui ai interrompu en riant:
--"Il me vaut mieux visiter ce cimetière pour voir si vous êtes ici ou non."

Il éclata de rire en indiquant l'endroit exact quil avait prévu.
--"Mais maintenant, il me faut aller véritablement. Mon fils m'attend, il ne peut faire son travail sans moi."

Reprenant mon chemin je pensais longtemps à ce qu'il ma raconté sur les enterrés. Les petites histoires familiales. Son grand-père, né en 1842, a fondé la ferme. Sa soeur s'était mariée trois fois. La prémière fois, assez jeune, avec le géomètre anglais qui a séjourné dans la ferme pour un travail de démarcation du domaine, mais une maladie de ventre l'avait tué vingt neuf jours plus tard.

--"C'était une épidémie à l'époque." Il avait indiqué la dalle funéraire et deux autres portant une date en 1936. Sur l'un d'elles je pouvait distinguer qu'il s'agissait d'une jeune fille de treize ans. Les dates ne diféraient que quelques jours.
--"Elle s'était mariée de nouveau plus tard, mais elle l'a perdu très tôt aussi sans laisser d'enfants. Ma soeur était une femme de courage, mais elle est devenue très triste après ces histoires."

Je contemplais les deux tombes à côté d'elle. Cummins était le nom du géomètre.
--"Qui est ce dénommé Van Doorn à côté?", je lui avais demandé, attiré par le nom Néerlandais et par son lieu de naissance au Pays-Bas en 1910.
--"C'est une histoire curieuse. C'est un compatriot à vous qui, un jour en 1952, frappa à la porte et me demanda s'il pouvait rester chez nous pour le reste de ses jours. Il était ouvrier du bâtiment, mais il paraissait plutôt un vagabond. Malgré cela, je lui ai fait confiance. Il travaillait à la ferme. Il a perdu sa femme et son enfant pendant votre guerre de cinq jours en Mai 1940 sans laisser de trace. Jamais il n'a pu l'accepter, et quand votre système juridique déclara officiellement que sa femme était morte, une dizaine d'années plus tard, il a quitté votre pays et se mit à vagabonder dans nos régions. Il était un croyant très sérieux. Il a commencé à accepter cette perte et finit par marier ma soeur. Finalement les deux ont eu onze ans et deux mois de bonheur ensemble."

Je comparais les dates sur les pierres, toutes les deux en décembre 1964, morurent en plein été m'imaginais-je.
--"Et cette pierre tout neuve?", j'avais osé demander finalement, indiquant celui de 1999 et une date de naissance de 1962.
--"C'est la femme de mon fils. Un cancer. Ils ont eu trois enfants. L'ainé a treize ans. Maintenant il est au collège à Springbok."

Le chemin sablonneux requérait mon attention. Je m'arrêtais pour mieux m'immerger dans ce paysage immense. Les fermes étaient loin à l'horizon, à peine visibles, mais les hommes et femmes qui y ont vécu figuraient clairement dans ma tête. Ils avaient créé leur Terre Promise finalement.

Ceci est ma dernière lettre de l'Afrique du Sud. Il me faut ajouter: "De ce séjour", parce que j'ai une envie irrésistible d'y retourner. J'admet avec hésitation que je ressent dans mon intérieur des traces de tomber amoureux de ce pays avec sa lutte héroique pour sa nouvelle existence. Et les héros ne s'en rendent pas compte encore.

La prochaine lettre de voyage viendra très probablement de Montpellier où je vais suivre des cours de la langue et la culture françaises en Juin.

Cordialement,   Gérard



© 1997 G.H.A. van Eyk, escritor itinerante.