Ma Lettre de Voyage Nº 9

Montpellier, Lundi, 19 Juin 2000

Chers amis,

--"J'y suis! Je suis à Montpellier! Finalement!"

La ville de mes rêves des derniers mois dont j'ai beaucoup attendu. Trop peut-être, après la solitude d'Afrique du Sud. Une vraie ville, une ville universitaire de longue tradition de culture européenne, des librairies, de tout. Montpellier avec son festival de théatre, son festival de musique ou simplement pour m'y promener comme citadin, le citadin dévoué que j'étais avant mon statut de réfugié pollutique.

Ce rêve a commencé après l'offre de ma voisine de palier à Paris de me prêter son appartement au centre ville à Montpellier. D'y suivre un cours de langue à l'université et de faire connaissance de cette ville à pied sans la nécessité de retourner à la campagne chaque soir, étaient les ingrédients de mes rêves. Je m'y suis laissé entraîner, et quand je me rendis compte de mon statut de réfugié pollutique j'ai prié mon dieu de me consentir pour une fois ce plaisir. De me libérer pour une fois des conséquences connues. Je l'ai supplié de me répondre, de me donner un signe de son consentement. Je lui ai offert de passer l'hiver prochain dans une cabane encore plus déserte que celle d'Yzerfontein. Je n'ai reçu aucune réponse.

C'est curieux avec les dieux de l'intérieur. Ils ne répondent pas comme les dieux des Livres Saints qui paraissent tout savoir. Ceux de l'intérieur ne répondent que par la réalité. Et la réalité ne s'ouvre qu'après qu'on ai pris sa décision.

    --"Donne-moi un signe plus clair", je l'ai supplié encore une fois.
Silence complet. Il ne me reste que le déchiffrement des événements.

Alors, quels sont les événements depuis mon départ de La Gomera le 25 mai?

Le jour où j'arrivai au Pays-Bas, le temps, qui était très beau, se changea en orages et froid. Par conséquence j'y perdais beaucoup d'énergie. La météo du Languedoc-Roussillon était très attractive et cela accéléra mon départ. Observation curieuse: le lendemain de mon départ il faisait beau en Hollande et à Montpellier commença une longue semaine de pluie et de froidure. Alors, la perte d'énergie continua. Depuis deux jours, heureusement, le vrai climat méditerranéen a commencé. La chaleur chasse toute trace de froid de mes os et ma récupération est en bonne voie.

Comment déchiffrer ces données? Comment les interpréter comme réponse à mes supplications? Jouer sur les pluies, les orages et le froid comme signes de ne plus tester mes limites? Ou jouer sur le soleil et la chaleur guérissante qui a suivi les deux semaines d'épreuve?

Prenons le dernier comme point de départ et oublions la phase froide et les pertes d'énergie physique et mentale. Oublions tout ça et concluons que j'ai bien passé les épreuves. Concentrons-nous à Montpellier d'autant que c'est aujourd'hui, le troisième jour du soleil méditerranéen. A voir encore si les effets négatifs de la pollution inévitable de cette grande ville vont être compensés --ou non-- par les effets bénins du climat et de la chaleur. A voir si je passe ce test aussi.

Depuis déjà trop longtemps je me suis étendu sur mes débats avec mes dieux. Il vaut mieux répondre à vos questions.

    --"Où te trouves-tu? Qu'est-ce qui s'est passé depuis ta dernière lettre?"
    --"Raconte-nous!"

J'aime quand vous les posez.

J'ai plongé dans une ville en pleine action. C'est une ville avec beaucoup de vitalité. Aux mois de juin et juillet on a les fêtes de danse, de théâtre et de musique l'une après l'autre. Ce ne sont pas des événements pour une élite Culturelle seulement. Avant tout, ce sont des fêtes de la rue. Le centre historique de la ville, (qui n'a pas du tout l'air d'un musée, au contraire!!) étant plein d'activités artisanales et économiques normales, se prête parfaitement à de telles activités. Imaginez-vous un lacis des rues intercalées de petites places qui, par leur caractère mi-caché, ressemblent à la fois aux fameux patios méditerranéens. A pied on le traverse en vingt minutes à condition qu'on ne se laisse pas séduire par des recoins ombrés et frais pour prendre un verre ou un repas. N'oubliez pas que dans cette ville méditerranéenne la vie se déroule dans les rues. Il y a aussi une traverse Haussmanniènne qui finit en cul-de-sac dans ce labyrinthe. Le tout est bordé par une grande place 19ème siècle avec son théâtre et prolongée par une promenade ombrageuse. Et voilà le décor pour ces fêtes d'été. étant citadin pour une seule fois, je m'en suis gavé, traversant ce labyrinthe avec mon appareil photo dans une tentative d'en absorber plus que ma matière grise ne peut contenir; une tentative de capter l'indicible.

J'ai aussi participé à un événement d' élite Culturelle. Mise à part l'offre gratuite et presque anarchique dans les rues et sur les petites places cachées, il y a aussi l'offre exquise et demandée des représentations théâtrales et des auditions intégrales musicales payantes. Dans le contexte du cours de langue française, j'avais l'opportunité de voir Le Malade Imaginaire avec un groupe d'étudiants. Nous avons lu et analysé le texte ensemble avec un professeur. Cette préparation en classe était indispensable au plaisir de le voir. C'était une réalisation en plein air avec, dans le rôle du malade, un comédien très applaudi. La mise en scène était dès le début déjà très ornementée, presque baroque. Les scènes se succédaient aussi rapides que je m'imaginais voir une video moderne. Sans la connaissance du texte, j'aurais sűrement perdu le fil du récit. Vers le dénouement, où le malade se libère de son obsession, la pièce obtenait même des traits vaudevillesques. L'origine artistique du protagoniste n'y était pas étrangère.

Mais n'oublions pas que Montpellier est aussi une ville d'aujourd'hui et moderne qui entre dans le 21ème siècle avec un système de transport urbain digne de notre époque. Cette ligne de quinze kilomètres touche au centre historique et connecte les quartiers extérieurs de l'est et de l'ouest. Dans quelques jours on ouvre Le Tramway, un projet considéré comme audacieux en 1995, quand on a approuvé le budget. Maintenant il est déjà considéré comme indispensable. Les trois années de travaux avec des traverses quasi Haussmanniènnes ont mis à l'épreuve les nerfs des Montpelliérains. On projette déjà une deuxième ligne à construire entre 2002 et 2004. Les derniers jours avant l'ouverture officielle on voit des ouvriers mettre la dernière main aux abris d'inox et de verre et aux autres mobiliers urbains indispensables ou décoratifs qui vont accentuer cette rayure profonde et indélébile dans l'histoire urbaine de Montpellier.

    -- "Une ville nouvelle apparaît", commente l'urbaniste en chef Raymond Dugrand.
    -- "Avoir entre mes mains 100MF ne me fait pas flipper", dit Bruno Martin, le conducteur interviewé dans la presse locale, mais il avoue aussi: "... la fierté de voir mon fils dire à ses petits camarades d'école que son père conduit le nouveau tramway"

Et bien, mes amis, mon séjour à Montpellier s'achève dans une semaine. Je ne sais pas d'où va venir la prochaine lettre. Mais avant mon retour aux îles Canaries je vous donnerai d'autres nouvelles. Entendu.

Cordialement,   Gérard



© 1997 G.H.A. van Eyk, escritor itinerante.