Ma lettre de voyage Nº 10
San Sebastián de La Gomera, 23 Septembre 2000

Chers amis,

Je me souviens vraiment que j'ai promis à la fin de ma dernière lettre d'écrire la suivante avant mon départ. Mais il ne fut pas ainsi. Pendant le reste de l'été, sauf les dernières semaines, les influences de mon séjour à Montpellier se faisaient sentir par cette maudite fatigue et la perte de concentration, causées par la pollution. Somme toute, j'ai risqué trop avec ce séjour prolongé. Mais, comme j'écrivis, Montpellier m'a plu beaucoup. Et le prix? Cet entreprise fut à mes risques et périls. Mon calcul prévisionel: "les effets négatifs de la pollution (...) vont être compensés par les effets bénins du climat", ne se faisait pas exactement.

Nous devons aussi évaluer l'autre innovation de cette année. Au lieu de passer l'été en majeure partie dans la maison à Cessenon, je me faisais plutôt nomade. C'est une évaluation plus compliquée. Certainement j'aurais du mieux l'organiser pour avoir pu éviter certaines improvisations ennuyantes et coûteuses. Mais entre tous ses atouts il y avait sûrement la distance que j'ai pu prendre des années précédentes avec ses bricolages aussi séduisants et imposants. Je ne tomberai plus dans cette piège.

Entre ces atouts il faut révéler aussi les découvertes --en partie prévues-- dans la région, engendrées par d'autres points de vue physique: Des chambres d'hôtes variées comme à Olargues, à Murviel, à Prades et à Réals. De nouveau, le changement de point de vue physique a prouvé la prépondérance dans la transformation de mes sentiments et de mes idées préconçues. Avec ces acquis, l'année prochaine, j'opterai pour passer quatre mois, ou plus, dans la maison. J'espère que le climat me le permettera. Avec la serre, que Ghislaine a prévue de construire vers le sud-est, une pièce amplement ensoleillée le matin, je peux compter sur des matins plus agréables aux mois de Mai et Septembre. A voir!

"Quoi encore?", je vous entend dire. Comme d'habitude, j'ai lu beaucoup, surtout des revues et des journaux français pour me mettre au courant de l'atmosphère française. Aussi un livre néerlandais, que me firent cadeau mes amis néerlandais près de Narbonne, et le dernier livre de Milan Kundera, curieusement d'origine française, mais paru en espagnol seulement jusqu'à maintenant.

Il y avait, cette année, une autre manière de lire. Logé chez mes enfants à Prades, mes quatre(!) petites-filles apprirent rapidement que je ne pouvais pas résister donner lecture quand ils me mettaient un livre d'enfant sous le nez. Et avec plaisir! Chacun à son tour venait avec son livre préféré. Je suis persuadé que donner la lecture pour l'enfant va plus loin que d'entendre --ou même de rêver avec-- l'histoire racontée. Du côté grand-père j'avoue qu'il arrivait que les histoires m'ennuyaient par son maniérisme trop naďf ou pour son insipidité. En même temps, j'étais impressioné par la clarté et la simplicité des frases évoquant des images ou sentiments complexes. Néanmoins, le plaisir d'avoir les enfants sur mes genoux et leur confiance enfantine, ont infirmé toute considération littéraire.

J'en ai la preuve. C'est ainsi pour l'enfant jusqu'au point où l'histoire n'a plus d'influence. Les deux cadettes, trois ans, imitant leur soeurs aînées, venaient de temps en temps avec des livres illustrés français trouvés dans la maison. Je les ai pris sur mes genoux et sans aucune objection je me mettais à lire en français. Aucune réaction de rejet, ni d'incompréhension! Ma voix et l'ambiance suffisaient pour leur écoute attentive:

La lecture des journaux et des revues est fortement intéressante, pas seulement pour ses actualités ou sa partie redactionnelle, mais aussi pour son "ton qui fait la musique". J'alterne entre les journaux nationaux et régionaux et, en passant, je les mélange avec ma récolte de journaux etrangers que je puise sur l'Internet. Ainsi transpire un peu de cette généralisation impossible: le caractère national français. C'est par les diverses manières de raconter les mêmes histoires, et de les expliquer différemment devant le lectorat en vue, que se forme cette généralisation éphémère. Je trouve cette "meta-information" aussi en la mesure dans laquelle on a dramatisée ou dédramatisée une affaire. Et, aux derniers le bons, je n'oublie jamais de jeter un coup d'oeil sur le courrier des lecteurs, là où le coeur d'un peuple se dénude encore plus. Je suis attiré par cette lecture. Ces effets flous me donnent une base de compréhension, bien qu'elle soit subjective. D'abord c'est pratique pour un étranger comme moi: Bien souvent elle me donne de l'information factuelle.

Les journaux comptent implicitement avec un certain acquis culturel, intellectuel, national ou régional. Pour un étranger comme moi, tous les journaux d'un pays sont pleins des petites et grandes énigmes, invisibles pour un initié. Ni la maîtrise de la langue, ni les visites répétées et prolongées suffisent pour les remédier. Il y a, par exemple, la tradition scolaire acquise dans sa jeunesse, une figure culte de cette époque, ou une abréviation informelle. Ils comptent avec la connaissance des origines d'une affaire avec, à la fois, des sous-entendus tellement implicite qu'on ne les retrouve jamais dans aucun ouvrage de référence: "Tout le monde le sait". Cela génère des curieuses discussions: mon interlocuteur ne comprend pas ma question, étant trop évidente pour lui. Ce n'est pas seulement "Le Canard Enchaîné" qui est presque incompréhensible pour le non-initié. Avec la lecture de plusieurs narrations, très souvent, il va de soi. J'ai mieux compris, par exemple, les problèmes de la Corse et du Pays Basque par la lecture parallèle des sources françaises et espagnoles. En même temps, ma base de compréhension pour le fin des sentiments républicains, ou de l'unité d'état, dans les deux pays, s'est élargie; une différence dont les habitants, souvent, ne se rendent pas compte.

Mais, mes chers amis, après cette réflexion sur la lecture, n'allez pas croire que je me suis mis dans de beaux draps avec mon statut de "l'étranger sans relâche". Au contraire! Cela me rend le monde encore plus énigmatique, féerique, et plein de défis pour aller à la recherche de l'inconnu. Cela nourrit mon esprit de curiosité. Vraiment, c'est une invitation permanente à être moi-même au fond de mon coeur, un flaneur/ observateur de la rue. Pas besoin de comprendre "Le Monde Dans Son Entier". Le monde, pour moi, c'est plutôt un gruyère avec plus de trous que de fromage. La substance ne forme que des petits morceaux, les miettes incohérentes mais avec le goût et l'arome. Ils me laissent rêver d'un entier merveilleux.

Si j'étais resté en France depuis ma première visite en 1947, j'aurais pu comprendre Le Canard Enchaîné et il est sûr, que mon monde eût été plus clair et plus transparent: tout comme La République et l'Etat Jacobin pour les français. Ma vie m'a mené ailleurs. Elle m'a submergé dans plusieurs cultures occidentales, presque sans me laisser une culture de référence. Chaque culture se presente avec son Canard Enchaîné, incompréhensible au début, mais, comme avec la lecture parallèle des journaux, j'y trouve des miettes cohérentes, et je les savoure. Et de l'entier? Je ne m'en fou pas totalement. Je le garde comme mon rêve chéri. C'est un conte de fées changeant, comme un kaléidoscope. Changeant avec l'arrivée des miettes neuves et savoureuses que Le Grand Narrateur m'offre. Peut-être il n'y a pas un grand écart entre mes petits-enfants et ma lecture parallèle des journaux. Voulez vous un exemple récent?

--"Cette absence de dialogue social est-elle aussi un des ingrédients de la violence?"
--"En France, le dialogue social n'existe que dans le rapport de force. On ne sait discuter qu'à chaud. C'est lorsque les décisions tombent que les salariés se mobilisent (...)"
J'avais trouvé cette demie-miette dans une interview dans le "Libération" de 12 août 2000.

Moins de six semaines plus tard, l'autre demie-miette s'est présentée: La France est "surprise" par un blocus le plus brutal qui puisse exister pour une augmentation du prix de l'essence, belle et bien prévue par les autorités qui se montrèrent "surprises" aussi. Pourquoi "surprise"? Qui?

Comment vous appreciez ce petit bout de gruyère?
A l'oeil? La croûte?
--"Pas fleur bleue", j'ose dire, "avec des moisissures déplacées, n'est ce pas?"
Au doigt? La pâte?
--"Pas très souple, plutôt une cassure grenue comme le gouda trop vieux".
A l'odorat?
--"Incontestablement l'odeur trop mûre, bouquet trop développé"
Au goût?
--"L'ère de papa, déjà vu, du XIX siècle"
Somme toute?
--"Insipide, il me rend triste".

Vous me comprenez? La France est un Grand Pays? Non?

Avec cette évaluation de mon séjour en France.
J'espàre que vous me pardonniez de ne pas tenir ma promesse.

Je vous salue cordialement, Gérard


http://perso.wanadoo.fr/gerard.van-eyk
© 2000, G.H.A. van Eyk, escritor itinerante.